Immeubles de grande hauteur : les défis de la construction bois
Les techniques de construction bois sont maîtrisées depuis des siècles pour des immeubles de 4 à 6 niveaux. Alors que le bois est aujourd’hui de plus en plus prisé dans les projets de logements mais aussi de bureaux, un défi reste à relever : la réalisation d’immeubles de grande hauteur au-delà de 10 étages. Le point sur le sujet avec Stéphane Pierra, Directeur du Département Structure de S2T.
Il est courant de trouver, dans nos centres-villes, de vieux bâtiments tout bois d’une hauteur comprise entre 4 et 6 étages. La technique de construction utilisée est bien connue : des colombages en bois, complétés par un système poteaux/poutres en diagonale pour stabiliser la structure, auquel s’ajoute un remplissage de type torchis par exemple.
Les constructions en bois modernes atteignent également, en général, 5/6 niveaux de hauteur. En France, on trouve quelques immeubles en R+7 ou R+8. « Au-delà de 10 étages néanmoins, il existe une frontière à la fois technique, réglementaire et psychologique qu’il va falloir dépasser pour répondre aux besoins du marché », décrypte Stéphane Pierra.
La mixité des matériaux, une bonne solution technique
Chez S2T, qui a déjà étudié et participé à la réalisation de bâtiments R+5 tant en logements qu’en bureaux, on pense fermement à la mixité des matériaux pour aboutir à cet objectif, et ce quelles que soient les contraintes. « On envisage souvent un mixte entre 2 ou 3 systèmes : ossature bois, système poteaux-poutres et CLT », précise le spécialiste.
Un noyau béton pour les parties communes, les escaliers et les ascenseurs permet de créer la stabilité de base du bâtiment. Les logements, quant à eux, seront pleinement en structure bois et métal si besoin selon les singularités des efforts à transmettre.
La structure primaire de la structure bois sera composée d’un système poteaux-poutres en lamellé-collé pour permettre de créer les étages autour du noyau béton Les planchers seront également en bois, en recourant à la technique CLT. Une variante de matériau peut également être envisagée dans les panneaux de Lamibois.
« Cette mixité permet de bien gérer les contraintes liées à la sécurité incendie et à l’acoustique. Elle allège le bâtiment de façon significative et a un impact positif sur le dimensionnement des fondations », souligne Stéphane Pierra.
Chez S2T, on est également attentif au retrait/gonflement du bois, phénomène qui peut amener des variations de niveaux entre le béton et le bois, et cela d’autant plus que l’on s’élève dans le bâtiment. D’autres points sont également en cours d’étude, comme la migration de l’eau au niveau des façades suivant le bardage ou parement extérieur, ou encore les accidents de façades comme les menuiseries.
Bois et IGH : une frontière réglementaire et psychologique
S’il existe des bâtiments R+10/11 en Italie, un bâtiment R+14 en Norvège et même R+18 au Canada, en France il existe un certain nombre de freins à la construction bois pour les immeubles de grande hauteur.
La réglementation incendie tout d’abord, qui est surtout prévue pour les constructions béton. « Il va falloir un peu de temps pour finaliser les études et mettre à jour la réglementation », note le directeur technique. Par ailleurs, de nouveaux produits techniques, notamment des assemblages, doivent encore être développés. « Leur faisabilité ne pose pas de problème en soi, mais leur validation auprès des bureaux de contrôle va elle aussi, prendre un peu de temps ».
D’après Stéphane Pierra, il existe aussi une frontière psychologique en France. « Pour la plupart des gens, une construction en bois c’est un chalet ou une maison individuelle. Ils n’associent pas au bois les mêmes vertus de fiabilité et de solidité qu’au métal ou au béton. Sans compter la peur de l’incendie, qui est pourtant un préjugé. Du fait de sa forte capacité de portance et de sa faible conductivité thermique, le bois se révèle plus sûr que les autres matériaux ».
Enfin, en France, la filière bois doit poursuivre son organisation. Coté filière béton, les entreprises générales se structurent pour intégrer la construction bois dans leurs méthodes chantier pour s’adapter aux particularités du bois. Coté filière bois, on trouve de nombreux charpentiers, mais encore peu de grosses entreprises. « Nous attendons aussi une restructuration au niveau de ces entreprises spécialisées bois, afin qu’elles puissent être pleinement co-mandataires ou mandataires lors des réponses aux marchés de construction », conclut Stéphane Pierra.